Critique de la notion de structure
Parler en termes de structure, de la même façon que s’appuyer sur les critères du DSM, peut constituer une base aux échanges cliniques autour du patient en tant que schéma d’intelligibilité, l’objectif étant d’organiser le soin à partir d’hypothèses partagées. Encore faut-il que cette base soit commune à l’ensemble des soignants et c’est là où le bât blesse. La perspective structurale induit la recherche de sens à la maladie dans l’histoire du patient. On tente alors d’élaborer une psychogenèse du fait pathologique. De la réflexion naissent des hypothèses sur la nature des troubles et aussi sur leur origine. Pourtant, la structure est souvent déterminée avec plus ou moins de précautions à partir de quelques symptômes repérés a priori chez le patient par des professionnels du corps médical, bien souvent non formés à l’approche psychanalytique.
Les courants d’essence psychanalytique, à travers leur expertise des mécanismes intrapsychiques, contribuent à l’élaboration d’hypothèses sur les sources possibles de la dimension pathogène dans la construction du moi du sujet quel que soit son « positionnement » psychique : névrotique, psychotique, etc…
En employant le terme de « positionnement », nous nous épargnons délibérément le carcan théorico-clinique imposé par celui de « structure » Ne faut-il pas parfois changer de paradigme pour être pertinent dans un domaine ? Car si le concept de structure [4][4]Une définition « pratique » de la structure : en psychanalyse,… constitue un socle diagnostic cohérent, son usage parfois dogmatique peut restreindre la vision portée sur le patient et sur ses potentialités d’évolution. À la base, les notions de normalité et de structure sont indépendantes ; cependant certains symptômes psychotiques entraînent une « inquiétante étrangeté » [4] à l’origine de la catégorisation des patients comme « anormaux ». N’est-ce pas là une illustration du risque mentionné en amont ?
13D’autre part la notion de structure psychique supposée du sujet implique, selon Bergeret [5], l’impossibilité de passage dans un autre type de structure. Ainsi est affirmé, au fond, qu’un psychotique ne sera jamais névrotique, et vice-versa. La structure augure d’une palette de symptômes spécifiques, or, dans la clinique, on observe des glissements entre différents types de fonctionnements et on voit la présence simultanée de plusieurs problématiques différentes.
14Enfin, on se heurte rapidement aux limites de la lecture structurale le domaine de l’expertise judiciaire où les pathologies du narcissisme foisonnent. Différents pôles de personnalité coexistent [5][5]Se référer à l’ouvrage de D. Zagury [6] selon lequel (qui) la… [6] fréquemment, s’intriquent et rendent un diagnostic strictement structural impossible, sauf au prix d’une scotomisation d’une part de la personnalité du sujet expertisé, pourtant essentielle à
l’explicitation de l’acte médico-légal.
15L’idée n’est pas ici de remettre en cause ce princeps psychanalytique, mais d’élargir le champ conceptuel sur lequel se base l’évaluation diagnostique actuelle au sein d’une équipe pluridisciplinaire en psychiatrie. C’est en ce sens que nous formulons les critiques qui suivent.
Une contradiction conceptuelle
16La structure psychique est par définition stable et chaque structure implique des possibilités de régression jusqu’à des points de fixation correspondant aux étapes de développement libidinal, différentes selon qu’on se situe dans une perspective freudienne, ou kleinienne. Sur le terrain, on observe que les modalités régressives ne sont pas systématiquement corrélables avec la structure supposée chez le patient. Celui-ci laisse alors transparaître des mécanismes de défense et un conflit intrapsychique qui ne correspondent plus à sa structure théorique de base. On perd, dès lors, temporairement, la logique strictement structurale ce qui pourrait nous conduire à l’idée de l’existence d’une plasticité structurale, ce qui, pour certains est un oxymore. Un « psychotique » qui fait un retour sur des identifications aux figures œdipiennes est-il en train de régresser à un point de fixation
(pourtant postérieur aux stades dits pré-œdipiens) qui manifestement a eu lieu pour partie dans son développement libidinal ? Devrait-on parler dans ce cas de progression et non de régression ? De même, un névrotique en grande souffrance peut manifester un retour dans son historique libidinal pré-œdipien en produisant des mécanismes défensifs archaïques (déni, repli autistique). Les lignes de clivage du cristal de roche freudien sont-elles aussi solides et immuables que nous le dit la théorie ?
17En ce sens, parler de régression (ou de progression) ne coïncide pas voire entre en contradiction avec le concept-même de structure. La régression « désigne le passage à des modes d’expression et de comportement d’un niveau inférieur du point de vue de la complexité, de la structuration et de la différenciation » [7]. Le terme d’« organisation » psychique dont O. Kernberg se saisit dans sa compréhension psychopathologique des états-limites représente une issue salutaire à cette contradiction théorique.
Apports du concept d’état-limite par rapport à la vision structurale du psychisme
18À l’origine, la grille de lecture freudo-lacanienne n’admet que trois types de structures : névrose, psychose et perversion. Le concept d’état-limite, reconnu comme une unité clinique (même si cela ne
fait pas consensus) a déjà largement déstabilisé le raisonnement en termes de structure minérale.
19La naissance du concept d’état-limite a permis de se dégager de l’impasse conceptuelle liée au fait que certains patients ne correspondent ni à la névrose ni à la psychose. Néanmoins on reste dans une conceptualisation fermée postulant trois entités cliniques qui tendent vers toujours plus de classification, par rupture, par contiguïté et non par continuité.
20On parle alors d’organisation limite de la personnalité et non de structure limite [8]. Pour reprendre Bergeret, il s’agit d’une organisation psychique inachevée/inaboutie susceptible d’une évolution vers une structure (digne de ce nom !), ce qui indique le caractère labile et non fixé du fonctionnement de ces personnes. L’organisation en tant que concept, est susceptible de se modifier, autrement dit un sujet est susceptible d’adopter un positionnement psychique puis un autre selon l’évolution de son organisation psychique ; celle-ci pouvant être influencée par de nombreux facteurs.
Un rapport dialectique entre lecture des troubles et maladie mentale
21Le concept de structure nous apparaît déstabilisé par les apports théoriques précités. La clinique actuelle, comme suggéré en amont, invite à s’interroger sur les limites du concept. Le soignant n’est-il
pas insidieusement amené à se rigidifier dans ses positionnements cliniques par la conceptualisation fermée de son approche théorique quelle qu’elle soit ? La grille de lecture utilisée par un courant théorique spécifique, et une époque, n’est-elle dans un rapport dialectique avec la clinique ? Nous avons tendance à voir ce que nous cherchons... Et la clinique est en miroir avec les classifications en vigueur, ce qui favorise des « phénomènes de mode » : « La dépression », la « fibromyalgie », les « borderline », les « pervers narcissiques ». Quand nous voyons un patient diagnostiqué a priori « psychotique », n’avons-nous pas tendance à relever aussitôt chez lui tout ce qui a trait à la psychose ? Et dans ce cas, dans quelle mesure peut-on se départir de notre perception afin de pouvoir éventuellement le voir sous sa « facette » névrotique ? Notre façon d’être en entretien n’amène-t-il pas le patient à se comporter comme le psychotique que nous nous attendons à « voir ».
Au-delà d’une rupture théorico-clinique dans l’évaluation diagnostique : la notion de « positionnement »
22Il apparaît aujourd’hui plus judicieux d’invoquer la notion d’un fonctionnement préférentiel : psychotique, névrotique ou narcissique. Chaque fonctionnement étant susceptible d’emprunter ses
mécanismes aux modes des autres fonctionnements : les schizophrènes chroniques ont dans leur vie des moments au cours desquels ils fonctionnent sur un registre « normal/ névrotique/ ordinaire…. ». Inversement, tout le monde peut fonctionner à un moment donné « comme un psychotique ». Un sujet dit « normal » sera sur ce registre, par exemple, 5 % de son temps : « parano », ritualisé, décalé, « mégalo »… Il pourra toujours avoir des positionnements « narcissiques », c’est-à-dire parlant pour sa souffrance narcissique : attitude de prestance, séduction outrancière, victimisation.
23C’est en ce sens que le terme de « positionnement » psychique autorise plus de souplesse dans l’évaluation d’une personne. Ceci d’autant plus dans les services où des primo-hospitalisations ont lieu avec une durée d’hospitalisation courte (moins de deux semaines parfois) et où l’équipe de soin pluridisciplinaire est incitée à livrer au plus tôt son diagnostic structural, ce qui va permettre l’élaboration du projet de soin post-hospitalisation.
24De l’étiquette de psychotique ou du névrotique, on va vers plus d’éthique en relativisant le pouvoir diagnostic et décisionnaire en tant que soignant. Ce parti pris n’exclut pas l’approche structurale, ni l’approche DSMiste. Celle-ci passe en revanche à l’arrière-plan d’une évaluation diagnostic à un temps « t » qui met en exergue la dimension de la temporalité et son importance dans la lecture du symptôme.